François, prince de Marsillac et plus tard due de la Rochefoucauld, appartenait a une très ancienne et très noble famille.A seize ans (1629) il parut a la cour. C'était précisément le temps ou Richelieu entreprenait d'asservir la noblesse: le jeune homme, vif, romanesque, aventureux, se dévoua de tout coeur aux belles amazones qui combattaient le cardinal. II prêta la main a bien des complots, et fut au demeurant très heureux de s'en tirer avec une simple disgrâce. Quand Anne d'Autriche devint régente, tous ceux qui avaient lutte pour elle comptaient sur sa reconnaissance: en première ligne, La Rochefoucauld qui estimait volontiers " qu'il n'y avait rien d'assez grand dans le royaume pour le récompenser. Mazarin refusa de lui accorder les privilèges qu'il convoitait et qui l'eussent égale aux plus nobles maisons : un tabouret pour sa femme et le droit d'entrer en carrosse dans la cour du Louvre. Cens fut assez pour le jeter dans les rangs des Frondeurs et l'attacher, par des liens peut-être plus intéresses que tendres, a l'une des plus illustres Frondeuses, Mme de Longueville, soeur de Condé. II fut frondeur sous les deux Frondes. II y joua un rôle brillant et équivoque. Dans le fond, il travaillait pour son " accroissement " et demeurait prêt a se rallier, s'il l'obtenait. C'était, comme il l'a remarque, le cas de tous les Frondeurs, et le pessimisme des Maximes dérive sans doute de cette constatation : " II est presque impossible, a-t-il avoue, d'écrire une relation bien juste des mouvements passes (de la Fronde), parce que ceux qui les ont causes, ayant agi par de mauvais principes, ont pris soin d'en dérober la connaissance, de peur que la postérité ne leur imputât d'avoir dévoué (sacrifie) a leurs intérêts la félicite de leur patrie. " Au combat du Faubourg Saint-Antoine, une arquebusade reçue en pleine figure " lui fit presque sortir les yeux de la tête" (1652). A demi aveugle, fatigue par cinq ans d'agitations stériles, il fit sa paix avec Mazarin : " La réconciliation avec nos ennemis, lira-t-on dans les Maximes, n'est qu'un désir de rendre notre condition meilleure, une lassitude de la guerre et une crainte de quelque mauvais événement. Les yeux affaiblis, goutteux, toujours valétudinaire, désabusé de tout par l'échec irrémédiable de sa vie, il se confina désormais chez lui : il avait quarante-huit ans. II allait chercher dans l'exercice désintéressé de ses forces intellectuelles l'adoucissement de ses désillusions. II se fit une vieillesse paisible, sinon heureuse, illuminée par d'exquises amitiés de femmes, Mme de Sable, Mme de La Fayette, Mme de Sevigne. Son ancien ennemi, le cardinal de Retz, venait le visiter.
A cette société d'élite, il lisait ses Maximes, sollicitant les avis et les critiques. Pendant ce temps, son fils, courtisan modèle, attache au roi qu'il suivait en tout lieu, en tout temps, obtenait par sa servitude émérite cet " accroissement " que lui-même avait vainement cherche par des moyens plus fiers. II eut la douleur de perdre, au passage du Rhin, un de ses deux fils et le jeune de Longueville dont il demeura inconsolable. Il s'éteignit en 1680, entre les bras de Bossuet. Rien ne réussit à cet homme, pourtant supérieur, parce qu'il n'avait pas une nature simple. La vanité, chez lui, entravait l'ambition; la passion déconcertait les calculs de l'égoïsme; surtout l'intelligence faisait hésiter la volonté : il était irrésolu, inconstant; il paraissait peu sur de son parti, qui ne lui pardonnait point la clairvoyance avec laquelle il le jugeait parfois et se jugeait lui-même, en tant qu'il coopérait à l'oeuvre commune. De là ce je ne sais quoi de trouble, cette irrésolution habituelle, cette impuissance a remplir son mérite, que signale un observateur pénétrant, le cardinal de Retz : ce sont les effets ordinaires de l'esprit critique, rare encore chez ceux de son temps, mais qui bientôt va paralyser chez tous les ressorts de l'énergie. Une maxime est l'expression concise d'une vérité générale d'ordre moral. " Les vertus se perdent dans 1 intérêt comme les fleuves se perdent dans la mer. II n'y a au monde qu'égoïsme, c'est-a-dire intérêt.
Ce fut la le charme qui la mit en crédit a la cour et qui valut a Marie Madeleine Pioche de la Vergne (née en 1634 dans une famille de très petite noblesse, mariée selon les convenances a un comte auvergnat), les confidences de la jeune et brillante Madame, belle-soeur du roi, - l'amitié intime de la marquise de Sevigne, l'attachement passionne de La Rochefoucauld vieillissant.
Mais e11eavait écrit un chef d'oeuvre, en confessant a demi le secret douloureux de sa propre vie : La Princesse de Clèves (1678). Elle demande appui à sa mère, qui meurt en l'exhortant à songer à ce qu'elle doit à son mari et à elle même. Puis elle se tourne vers son mari, elle lui laisse entendre que son coeur est de plus en plus trouble, elle le supplie de la protéger contre elle-même. En somme l'événement capital de sa vie a certainement été le mariage de cette fille " dont elle avait fait, disait Arnauld, l'idole de son coeur. Jusqu'au mariage de sa fille, Mme de Sevigne a peu écrit. Sa fille mariée, tout change; désormais, pour conjurer l'ennui, pour rester aussi proche que possible de la chère absente, pour la distraire dans sa lointaine province, elle va lui envoyer par tous les courriers les nouvelles grandes et menues de la cour et de la ville, mêlées de réflexions, de papotages, d'impressions de toute espèce. Ces lettres n'étaient point destinées a la publicité : elles ne furent recueillies en volume que trente ans environ après 1a mort de la marquise (en 1725). Cette correspondance est d'abord l'histoire d'une âme. Ce que nous y trouvons avant tout, c'est Mme de Sevigne elle-même, avec son aisance, ses grâces naturelles, son esprit droit et sa sensibilité impétueuse : effusions après les séparations qui lui sont si cruelles (6, 9, 13 février, 4, 24 mars 1671, 5 octobre 1673), - impressions de lectures, - réflexions sur la vie, - impressions de nature : le " triomphe du mois de mai (29 avril 1671), la gaité de la fenaison (22 juillet 1671), la tristesse des arbres que l'on abat (27 mai 1680), la fantasmagorie des clairs de lune (12 juin 1680), l'éclosion joyeuse des bourgeons (19 avril 1690). C'est aussi I histoire d'une société. Les descriptions significatives, les anecdotes alertement contées abondent.
Les Lettres sont l'indispensable complément des Mémoires de Saint-Simon. Histoire d'une âme, chronique d'une societe, tout cela se mêlé a vrai dire dans le cours de chacune de ces lettres changeantes et souples comme la conversation même et qui ne sont a vrai dire que des conversations écrites. Un tempérament calme on dominent l'intelligence et surtout l'imagination, voila comment Mme de Sevigne nous apparait d'après ses Lettres. En général, elle a plus d'enjouement que de vivacité et de sensibilité. Elle n'eut de passion que pour sa fille, un peu aussi pour Marie-Blanche, une affection calme pour son fils; en dehors de ce1a, quelques amitiés solides et sereines, on son esprit avait part autant que son coeur : Fouquet, Retz, Mme de La Fayette. En dépit donc de ses effusions maternelles, ce n'est pas une passionnée. En sa jeunesse, elle est vive et gaie, et donne par la prise aux médisants; cela s'amortit un peu avec l'âge, mais on retrouve encore la rieuse jeune fille dans la grand mère. Spirituelle, ironique, maligne, elle n'est point tendre, sentimentale ni mélancolique. Les larmes lui manquent, et la pitié : la dure répression de la Jacquerie en Bretagne ne l'attendrit guère. Elle aime la nature, et par la ses lettres mettent une note originale dans la littérature classique : mais el1e ne mêlé a cet amour ni sentimentalité ni rêverie. Elle en fait de la joie, comme de tout, et une joie physique, sensuelle, une joie des yeux et des oreilles. Un printemps, c'est du rouge, puis du vert : en voila assez pour l'enchanter. A Livry, aux Rochers, el1e a des bois; mais ici c'est un vert, et la un autre vert. En automne, " les feuilles sont aurore, et de tant de sortes d'aurore que cela compose un brocart d'or riche et magnifique. " Elle a ainsi des impressions, des plaisirs d'artiste. Elle aime les livres : elle est passionnée de comprendre et de penser. Très solidement instruite, elle a un choix de lectures austères pour_ une femme. De ce fonds de lectures, qu'elle applique a son expérience, sortent toutes ces réflexions sur la vie humaine, sur les moeurs et les passions, qui rendent ses lettres si substantiel1es. Ses émotions se complètent de toutes sortes de représentations imaginatives qui par contrecoup les exaltent parfois; en tout cas, elles mettent dans son oeuvre plus de variété et de richesse qu'elle n'en a parfois ressenti dans son coeur. " Les Mémoires de Paul de Gonde, cardinal de Retz, ne furent publies qu'au début du XVIIIe siècle. Il se servit de sa place pour se rendre populaire, s'endettant pour distribuer plus largement les aumônes et répondant a qui lui en faisait le reproche : "César, a mon âge, devait six fois plus que moi" Malheureusement la charge qu'il convoitait était tenue par un autre: Mazarin. De temps à autre il va à Rome pour le service du roi et montre dans les négociations, dans les conclaves que son génie n'a point change: on ne peut se jouer plus tranquillement de l'Eglise et de la religion. Avec la même absence de scrupules qu'il s'est fait cardinal, il fait des papes : il n'y a partout pour lui que de la politique. a fait certain que sa vie était finie, il se démit du cardinalat; humilité que le public admira, sans voir que Retz se créait ainsi, a peu de frais, une espèce de grandeur, sans doute toute différente de celle qu'il avait rêvée.
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